Apprendre la leçon n’est pas suffisant

Échec

Médecins Sans Frontières (MSF) est une organisation qui s’épanouit dans le débat critique. À travers les cinq centres opérationnels de MSF, nous soulignons volontiers les erreurs et les faiblesses les uns des autres. Lorsque cette dynamique reste à un niveau de « saine tension », elle aide les équipes opérationnelles ainsi que les patients que nous traitons. Tout le monde doit défendre ou ajuster leurs actions en réponse à la critique de collègues. Cela met la qualité des programmes à l’avant-plan et renforce l’imputabilité.

De plus, les employés du siège social de MSF visitent régulièrement les équipes de terrain pour s’assurer que nos actions médicales adhèrent aux normes et aux objectifs de l’organisation. Nous effectuons aussi des évaluations formelles, particulièrement à la suite de situations d’urgence importantes. Certains au sein de MSF diront que nous ne faisons pas assez d’évaluations. Faisant partie de l’organisation depuis près de 20 ans, je crois que c’est plutôt le contraire.

Nous faisons tellement d’évaluations, en plus des visites de surveillance régulières, que nos équipes ont tendance à être inondées de recommandations qui risquent d’être perdues avec le temps. Tenter de prioriser la multitude de commentaires bien intentionnés et de les mener à terme peut s’avérer écrasant.

Apprendre des leçons n’est pas un problème chez MSF. Nous apprenons facilement les leçons. Malheureusement, les mêmes leçons sont parfois apprises par différentes équipes à différents moments. Notre défi est d’intégrer rapidement ce que nous avons appris à tout le mouvement MSF – plus de 27 000 travailleurs de l’aide ont servi des patients dans plus de 60 pays en 2010.

En tant qu’organisation travaillant principalement en Afrique subsaharienne, historiquement nous avons mis l’accent sur le traitement de gens atteints de maladies infectieuses dans des zones ayant peu de ressources. Cela se reflétait tant dans nos lignes directrices cliniques que dans nos trousses de fournitures médicales d’urgence, contenant les médicaments et les fournitures médicales normaux pour les maladies les plus courantes.

En 2003, je supervisais les activités de MSF en Irak. Dans ce pays, plusieurs des maladies dont les gens souffraient étaient non transmissibles, comme les maladies du cœur et le diabète. À la suite de l’invasion américaine, nos équipes se sont rapidement mises en place, avec les trousses de fournitures médicales d’urgence normales. Armées de médicaments contre la malaria et d’antibiotiques, nos équipes n’étaient pas bien préparées pour satisfaire aux besoins en matière de santé associés à des pays à revenu intermédiaire, soit les maladies non transmissibles.

C’était une situation frustrante. Non seulement n’étions-nous pas préparés, mais en plus nos équipes ont eu de la difficulté avec le changement de centre d’attention. Nous avions besoin de fournitures supplémentaires substantielles pour que nos actions médicales puissent satisfaire les besoins principaux. Par contre, le plus frustrant fut de réaliser qu’une évaluation précédente de notre travail au Kosovo avait déjà relevé l’importance d’être prêt à traiter les maladies chroniques non transmissibles dans des endroits à revenu intermédiaire.

Mais nous avons encore échoué à apprendre notre leçon et avons répété les mêmes erreurs après le séisme en Haïti en 2010. Voici le rapport de notre réponse, tiré d’« Haïti, une année plus tard » (2011) :

« De plus, pendant la phase d’urgence, MSF n’avait pas sous la main les médicaments requis pour traiter les patients souffrant de conditions non transmissibles telles que l’hypertension, le diabète et l’épilepsie. Des 850 patients traités dans un emplacement entre mars et septembre, il y a eu 72 cas d’hypertension. Reconnaissant cette faiblesse au niveau des soins disponibles dans certaines structures médicales de MSF, l’organisation évalue déjà la faisabilité d’inclure des trousses pour traiter les maladies chroniques dans les stocks de préparation d’urgence dans différents pays. »

Apprentissage

À cause des pressions concurrentes et des choix impossibles, nous avions échoué à prioriser les patients atteints de maladies non transmissibles pris dans des situations d’urgence. Notre planification s’appuyait encore sur les conditions communes aux endroits où MSF avait travaillé pour la plupart de son existence, sur les modèles épidémiologiques rencontrés là-bas.

Cependant, l’équilibre se déplace. Alors que nous rencontrons de plus en plus de patients atteints de maladies non transmissibles et que nous cherchons à mieux répondre aux besoins médicaux de nos patients, MSF se dirige vers des approches plus holistiques et des actions médicales intégrées au lieu de stratégies verticales centrées sur les maladies infectieuses. Par conséquent, nous passons de l’apport de soins de base à grande échelle au traitement de moins de gens, mais de façon plus complète.

Ce changement a aidé l’organisation à faire face au défi de traiter les patients atteints de maladies non transmissibles. À la suite du séisme et du tsunami au Japon en avril 2011, MSF a aidé des patients souffrant de ces maladies dès le début, démontrant que nous devenons mieux préparés pour répondre aux besoins à plus long terme des patients même sous les conditions temporaires d’une urgence.

Cependant, la question de comment intégrer rapidement les leçons apprises à un niveau plus systémique à l’ensemble du mouvement MSF est toujours ouverte. Alors que les évaluations sur le terrain et les débats sur qualité se poursuivent, l’organisation a commencé à mettre l’accent sur des mécanismes centralisés. Étape par étape, les évaluations sont menées de façon de plus en plus centralisée et les progrès opérationnels sont suivis et documentés pour consultation future.

Cette centralisation accrue est illustrée par un nouvel exercice annuel d’imputabilité mutuelle entre les directeurs des centres opérationnels de MSF. En mettant l’imputabilité à un niveau plus central – avec la participation des présidents du conseil, des directeurs généraux, des directeurs opérationnels et des directeurs médicaux –, nous croyons que les leçons précieuses demandant une action concertée seront mieux intégrées à l’ensemble du mouvement.

Le défi sera de s’assurer que nous maintenions une tension saine et l’espace requis pour se mettre au défi les uns les autres à travers nos processus de surveillance traditionnels, malgré ces nouveaux mécanismes nous aidant à agir sur la base des leçons apprises. Garder cet équilibre permettra aux équipes de MSF de partout dans le monde d’aider les gens dans le besoin avec des soins médicaux de qualité les plus adaptés possible.